vendredi 6 avril 2012

Les monnaies locales

Le premier instrument de la relocalisation de l'économie, ce sont les monnaies locales. Bien sûr une monnaie locale ne peut être qu'une monnaie complémentaire à la devise européenne, ne pouvant avoir l'ambition d'être une monnaie unique, pas plus que la relocalisation ne peut signifier une impossible autarcie. La monnaie locale vise uniquement à favoriser les échanges de proximité permettant de soustraire les prestations locales à la TVA qui fonctionne alors comme droit de douane pour les importations marchandes. Cela n'empêche pas d'encourager aussi les échanges non marchands, tout ne doit pas être monétisé, mais les monnaies locales visent à s'étendre à une part significative de l'activité économique locale. Non seulement cela s'avérerait fort utile en cas de désordres monétaires (imminents) mais il ne saurait y avoir une relocalisation digne de ce nom sans monnaie locale, c'est le premier point (même si cela paraît surréaliste à l'heure de l'Euro) : pas de pouvoir économique (local) sans pouvoir monétaire !

Il ne s'agit pas de tomber dans un nouveau monétarisme ne se préoccupant que de la circulation, il faut s'occuper évidemment en priorité de la production elle-même. Le deuxième instrument de la relocalisation, c'est des coopératives municipales organisant les échanges de proximité et les coopérations locales. Leur fonction ne saurait se limiter aux échanges alors que leur rôle doit être de fournir des moyens de production, de réparation, de recyclage et d'être les véritables institutions du développement humain comme développement des compétences et de l'autonomie de chacun. On devrait y trouver des ateliers de fabrication, y compris avec les instruments numériques disponibles comme des imprimantes 3D qui peuvent favoriser l'auto-production et la fourniture de pièces détachées, entre autres. Inspiré de Murray Bookchin, le caractère municipal de ces coopératives constitue une propriété publique locale (comparable à une nationalisation), propriété collective nécessaire pour soustraire cette production locale au marché concurrentiel et à son productivisme. Sans une telle structure productive, la relocalisation resterait marginale, c'est donc un enjeu essentiel (mais difficile comme toute entreprise). Il faut que la municipalité s'y engage en la dotant des moyens nécessaires pour assurer ses missions.
Un système de production ne se limite pas à la circulation et la production mais se caractérise aussi par la distribution des revenus et la répartition des richesses. Pour qu'une majorité de travailleurs puissent se passer de trouver un emploi salarié dans des entreprises capitalistes mues par le seul profit, il faut qu'ils aient un revenu garanti, revenu assuré éventuellement par la coopérative municipale mais c'est là où le local n'est pas suffisant et doit bénéficier d'une solidarité nationale. Le localisme n'est pas le repli sur soi, ni la négation de nos appartenances à des ensembles plus larges, tout au contraire, ce qui s'exprime au niveau de la redistribution, des impôts, des services publics et des réseaux nationaux (sans parler de l'intégration au marché qui reste effective pour les produits industriels au moins). Même si coopérative municipale et monnaie locale paraissent encore très exotiques, leur mise ne place peut être assez rapide à un niveau strictement local, il n'en est pas de même du revenu garanti qui devra être obtenu au niveau national (voire européen?), par des luttes sociales et politiques. C'est le point nodal de l'anti-productivisme sur lequel il faudrait porter nos revendications nationales car sans revenu garanti il ne peut y avoir de production non concurrentielle. Ce n'est pas un revenu destiné à la consommation passive de marchandises mais qui doit permettre travail autonome et production locale hors de la pression du marché, ceci afin de se substituer à une part de plus en plus grande de la production marchande (même si c'est une part seulement). Heureusement, et bien qu'elle rencontre toutes sortes de résistances, c'est une revendication qui progresse petit à petit au sein du mouvement social devant la montée de la précarité et de l'intermittence. Un revenu garanti suffisant est indispensable au moins pour améliorer le rapport de force salarial et pouvoir arrêter la dégradation du droit du travail en refusant des emplois sous-payés (ce serait un "revenu de résistance", le contraire du RSA!).
Ces mesures ne doivent pas être isolées : il ne suffit pas d'un revenu garanti s'il n'y a pas les structures de valorisation des compétences locales. Revenu garanti et coopératives municipales permettent de sortir du salariat et de passer du travail forcé au travail choisi ou travail autonome, brisant la dépendance entre producteur et consommateur, salariat et société de consommation (où la baisse des consommations et de la croissance met le travailleur au chômage). De l'autre côté, coopératives et monnaies locales permettent de trouver des débouchés locaux à cette production locale en se soustrayant, en partie du moins, au marché global. Le revenu garanti ne peut être entièrement en monnaie locale puisque tout n'est pas produit localement mais il pourrait l'être pour un tiers peut-être ? En tout cas, ces dispositifs complémentaires dessinent un tout autre système de production, bien moins productiviste et plus écologique, recentré sur le développement de


l'autonomie et la valorisation des compétences ainsi que le vivre ensemble et les rapports de face à face. Tout cela sans revenir en arrière pour autant, ni augmenter les contraintes mais en libérant au contraire les potentialités des individus et leur capacité d'initiative.
Le revenu garanti constitue le point faible de ces mesures indissociables mais en attendant qu'il devienne une revendication phare des mouvements sociaux, on peut s'appuyer sur les dispositifs existants (car le revenu garanti existe presque, même s'il est très insuffisant, éclaté en une multitude de prestations : retraite, chômage, maladie, allocations familiales, revenu minimum, formations, etc.). Plutôt que de rêver à des transformations radicales au niveau global, on peut dès maintenant créer des monnaies locales (avec le SOL ) et des coopératives municipales pour mettre en place sans attendre de nouvelles pratiques dont on ne peut attendre des miracles mais qui pourront s'étendre assez rapidement quand elles auront fait leurs preuves.
On peut discuter pour savoir si ce serait assez radical et à la hauteur des défis du temps, c'est du moins par là qu'il faut commencer, la relocalisation étant indispensable de toutes façons et n'étant pas aussi utopique qu'il y paraît, beaucoup moins en tout cas que bien des projets sensés nous sortir magiquement de la crise économique, sociale, écologique. Il ne s'agit pas de tout relocaliser, répétons-le, mais seulement de briser la dépendance entre emploi et croissance ainsi que de revenir à une échelle humaine en donnant un cadre à une relocalisation de la production, au développement du travail autonome et des échanges de proximité (jardins bios, artisanat, réparations, formation, création, services, etc.). Ce n'est qu'un point de départ à partir duquel tout reste à faire, à inventer, à expérimenter. S'il s'agit bien de transformer activement notre environnement et de se réappropier notre vie, impossible de s'imaginer un monde parfait à ce niveau local. Le plus grand des réalismes est de mise avec nos voisins de la Commune, obligés de tenir compte de tous dans un renouveau de la démocratie de face à face (au lieu de rester dans l'entre-nous communautaire).
Après la sensibilisation et la propagande, il faudra bien passer à l'action, il y a urgence, et plutôt que de se réfugier dans un extrémisme contre-productif, il faut se persuader que la relocalisation est l'urgence du moment, la seule façon de sortir du capitalisme et de changer le monde sans tomber dans la barbarie. Il est certain malgré tout que ces propositions paraissent trop utopiques, y compris la réactivation de la démocratie locale par quoi tout commence. Surtout, elles ne sont pas du tout dans la ligne des revendications actuelles. C'est le genre de solutions qui ne s'imposent, hélas, qu'une fois que toutes les autres prétendues solutions ont raté, tellement plus simples ou plus exaltantes que ce retour au réel, à la vie locale et aux rapports humains ordinaires ! Heureusement, il y a malgré tout déjà un peu partout dans le monde quelques tentatives d'aller dans ce sens, comme les Transition Towns qui doivent être radicalisées, mais on n'est qu'au début d'une ère nouvelle qui a bien du mal à émerger et que la crise pourrait aider à naître, l'ère de l'information, de l'écologie et du développement humain où nous pourrons peut-être apprendre à réhabiter notre territoire et nous réapproprier notre travail comme notre propre vie.

Extrait de l'article de Marianne2 intitulé "Relocalisation, mode d'emploi"



Un site exclusivement consacré aux monnaies locales : monnaie locale complementaire

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