Plutôt que de se résigner, et faisant fi de la tendance à l'individualisation de notre société, des amis ont mis en commun leur énergie et leurs économies, afin d'acquérir le logement de leur rêve. Bien sûr, pour mener à bien un tel projet, il est nécessaire d'avoir un esprit de coopération et d'entraide et non pas une vision égoïste des choses, et il faut accepter d'avoir quelques espaces communs (la buanderie par exemple).
Les avantages ? Des voisins choisis et non pas subis. La possibilité d'acquérir une vaste propriété (en l' occurrence, une maison de 400 m2). Une vie privée respectée tout en pouvant s'accorder facilement des moments conviviaux entre amis-voisins...
Ils cherchaient plutôt un terrain à
bâtir... sans trop s'éloigner du centre de Montpellier. Complexe, vu
l'état du foncier dans la ville. Finalement, au hasard d'une balade sur
le net, Sylvaine apprend qu'une maison de quelque 400 m² est à vendre à
quelques encablures du centre-ville. "On a visité, on ouvrait des portes et des portes, ça ne finissait jamais", raconte-t-elle avec enthousiasme. Elle poursuit : "on aurait pu en parler des mois sans que le projet ne se concrétise si on n'avait pas trouvé ce lieu".
L'opportunité est belle, mais la somme
est coquette. 750 000 euros, c'est bien trop pour leurs salaires
d'institutrice et de projectionniste. Il leur faut trouver des copains
prêts à s'investir dans ce projet un peu fou. Une amie, Aurélie,
franchit le pas, suivie d'Ysis et Maxime, un jeune couple qui se décide
en 10 jours pour le F3 du rez-de-chaussée où l'on nous reçoit. Fabrice,
le frère de Yannick, rejoint l'aventure et prend un appartement au
rez-de-chaussée. Pour boucler le budget, leurs parents, qui vivent en
Bourgogne, vendent leur pied-à-terre de Palavas-les-Flots et
investissent dans le projet. D'autres, faute de prêts bancaires, sont
restés hors de l'aventure.
Aujourd'hui, couples, enfants,
célibataires : ils vivent à quinze dans cette construction des années
1950. On s'entraide, on se voit, on se rend service, on s'occupe des
enfants des uns et des autres qui sont tous nés ici. Beaucoup n'auraient
pu devenir propriétaires sans achat et travaux collectifs. "C'est plus qu'une copropriété classique, mais ce n'est pas une communauté",
résume Jean-Yves, le dernier à avoir posé ses valises ici, à l'adresse
de ceux - nombreux semble-t-il - qui y voient une résurgence d'un mode
de vie hippie.
C'est vendredi et, plaisante l'un d'eux, la soirée "ressemble un peu à une de [leurs] réunions de copropriété".
Pour nous raconter leur histoire, ils sont presque tous réunis dans
l'appartement du rez-de-chaussée. L'apéritif est servi, les gamins vont
et viennent autour de la table basse, manquant à chaque approche de
faire basculer les verres. Entre la première visite et l'achat, quelques
semaines seulement ont passé.
De haut en bas : Aurélie ; Sylvaine, Jean-Yves et Manuela ; Solenn,
Fabrice et Lucie ; Ysis, Maxime et Manon ; Guillaume ; manquent Yannick
et Laure
Trois ans après, ils parlent de cette
histoire comme d'une succession de joyeux hasards. L'affaire a eu mille
occasions de capoter, ils avaient mille raisons de s'engueuler, mille
grains de sable auraient pu enrayer cette belle mécanique. Et
aujourd'hui encore, ils semblent s'étonner de leur propre témérité. "On a signé la vente le lendemain de la chute de Lehman Brothers... ", se souvient Fabrice, qui n'a pas voulu y voir un mauvais présage. "On a passé des heures chez le notaire à parapher des tonnes de papiers. On avait un peu l'impression de se marier", plaisante Aurélie.
Chacun est devenu l'heureux propriétaire
d'un lot de la maison commune... qui était encore loin de pouvoir
accueillir tout ce monde. "J'ai payé pour un appartement habitable alors que c'était un grenier sans sol, sans isolation, sans accès",
rigole Aurélie. Problème similaire au rez-de-chaussée qui n'est qu'un
vaste ensemble de pièces inutilisées depuis des lustres. "On a partagé le prix de la maison comme si les appartements étaient finis et on a fait un pot commun pour les travaux",
explique Sylvaine. Si l'espace acheté par chacun a été gravé dans le
marbre d'un acte notarié, tout le reste était basé sur la confiance des
uns envers les autres. C'était risqué.
En effet, vaste entreprise que de rénover et morceler cette grande baraque. "Même les appartements que l'on croyait potables étaient pourris",
se souvient Fabrice. Le précédent propriétaire avait commencé à rénover
les studios, mais son entrepreneur a été incarcéré pour trafic de
drogue. Très vaste entreprise ! La petite bande, bientôt rejointe par
les conjoints des uns et des autres, a pris les services d'un maçon pour
le gros-œuvre. Pour le reste, ils ont dû se débrouiller. "On connaissait tous quelqu'un qui s'y connaissait en bricolage",
souligne Ysis. Il y a avait le papa de Sylvaine pour l'électricité. Et
puis Didier, le cousin de Yannick et Fabrice pour la plomberie. Tous
parlent de lui comme d'un saint homme, qui a abreuvé de ses conseils
bienveillants ces presque néophytes, englués dans une tâche colossale.
De ces six mois de gros travaux, on ne
voit plus grand-chose. Dans la cave, non loin de la salle de répétition
de musique et de la buanderie commune, des dizaines de pots de peinture,
une perceuse, une ponceuse, une meuleuse, des échelles, etc. rappellent
que tout cela n'est pourtant pas très loin.
Avec trois ans de recul, ils ne
tarissent pas d'éloges sur ce mode de vie peu commun sous nos latitudes.
Tous décrivent un mélange de partage et de respect des habitudes de
chacun, simplement. "On sait qu'on n'est pas seuls", résume
Laure, la compagne de Yannick, arrivée pendant la bataille. Il y a
pourtant d'impondérables anicroches qui surviennent entre voisins,
fussent-ils amis, "des trucs normaux quand on vit en copropriété",
relativise Sylvaine. On s'est agacé pour le bruit du copain du dessus
ou de la mauvaise volonté pour sortir les ordures. Le fautif le promet :
si c'est écrit dans Le Monde, on ne le reprendra plus à sauter son tour de poubelles.
(Article et images ici)
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